Cheikh Diop, sur les mines d’or de Kédougou : «Les travailleurs vivent l’esclavage»
Une tournée dans les régions du Sud et de l’Est du pays a permis au Secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal/Forces du changement (Cnts-Fc) de constater l’impact du Covid-19 sur les travailleurs de ces zones ainsi que leurs familles. Soutenant que les revendications agitées actuellement dans les secteurs de l’éducation et de la santé sont les conséquences des politiques d’ajustement structurel (Pas), Cheikh Diop dénonce un «esclavage moderne» que subissent les travailleurs du secteur minier de la région de Kédougou.
Vous venez d’effectuer une tournée qui vous a conduit dans les régions du Sud et de l’Est du pays. Quel bilan tirez-vous de ce périple ?
La première étape de notre programme de tournée nationale nous a conduits en effet, à Ziguinchor, Oussouye, Cap Skiring, Sédhiou, Kolda, Vélingara, Tambacounda et Kédougou. Ces visites de terrain sont en conformité stricte avec la pensée et la conception de que se fait la Cnts/Forces du Changement, du syndicalisme, basées sur des valeurs. Or donc, la première des valeurs cardinales du syndicalisme c’est la solidarité.
A l’instar du monde entier, le Sénégal vit une crise sanitaire sans précédent, aux conséquences dévastatrices incommensurables, à tous les niveaux mais surtout chez les couches laborieuses. Imbus des valeurs évoquées tantôt, nous ne saurions nous cantonner dans des bureaux climatisés durant cette crise, sans nous rendre auprès de tous les travailleurs, pour leur apporter notre solidarité, nous enquérir de leur situation réelle durant la crise, de l’impact de la pandémie dans leur environnement socioéconomique, sur les activités et sur leur emploi.
Nous nous sommes rendu compte ainsi, que les travailleurs, tout comme les populations en général, ont vécu avec beaucoup de difficultés, une baisse ou une perte totale de revenus dans presque tous les secteurs de l’économie structurée ou informelle : tourisme, transport, pêche, artisanat, etc.
L’écoute du monde du travail nous a permis, en toute connaissance de cause, de mieux nous préparer aux prochaines rencontres et consultations que les autorités envisagent de faire, pour la relance de l’économie, prenant en compte les préoccupations essentielles des travailleurs, de leur secteur et leur entreprise.
Nous considérons que le bilan de la première étape a été une grande réussite, au vu de l’accueil chaleureux, voire enthousiaste qui nous a été réservé, marqué par des assemblées générales organisées dans chaque localité visitée, avec la présence des secteurs de l’éducation, de la santé, du transport, des mines, des travaux publiques, de l’agriculture, des oléagineux, du gardiennage, du tourisme, de la restauration, de la pêche, de l’artisanat.
Le Sénégal n’a pas trop été impacté par le Covid-19, comparé à ce qui se passe dans pas mal de pays. Quelle réalité avez-vous trouvée dans les entreprises et autres entités employant des travailleurs ?
Si, le Sénégal n’a pas été aussi impacté que la plupart des pays du Nord, nous devons cela, en grande partie, à l’efficacité des plans de lutte et de riposte élaborés par notre pays, au point de le positionner au deuxième rang mondial dans la prise en charge de la pandémie.
Avant d’aborder les réalités dans les entreprises et autres entités pourvoyeuses de main d’œuvre, je voudrais relever un aspect qui à mon avis est une source de motivation pour faire davantage confiance en nous-mêmes. Les politiques d’ajustement structurel (Pas) des années 1980 imposées au Sénégal et à beaucoup d’autres pays africains, visaient essentiellement à déstructurer les secteurs de l’éducation et de la santé. Interdiction stricte a été faite à l’Etat du Sénégal de recruter du personnel de santé et d’enseignants. Toutes les revendications qui agitent et réchauffent le climat social dans ces deux secteurs sont les conséquences des Pas. Il s’agit notamment, dans le secteur de l’éducation, de la validation des années de volontariat, de vacation et de contractualisation pour les enseignants recrutés en marge de la Fonction publique, de la révision des statuts des enseignants décisionnaires ; dans la santé, de l’utilisation à outrance de contractuels, de l’insuffisance du personnel de santé dans les recrutements dans la Fonction publique, du plan de carrière du personnel paramédical…
Nous constatons, à présent, que ce sont ces deux secteurs qui nous ont valu la fierté d’être deuxième meilleur pays au monde dans la gestion de la pandémie, pour avoir produit, malgré tout, les ressources humaines qui ont le plus porté le combat contre le Covid-19 telles que le Pr Seydi et son équipe, le ministre de la Santé et tous ses directeurs, tout le personnel de santé. Le Président Macky Sall, lui-même, un produit de ce système local, n’a consulté aucune institution étrangère ni bailleurs de fonds international pour élaborer son plan de résilience économique et sociale, il l’a conçu après avoir consulté toutes les forces vives de la Nation. Au terme de ces concertations, son plan de résilience économique et sociale a été soutenu par tout le Peuple, faisant ainsi une quasi-unanimité.
Pour en venir aux réalités du terrain durant la pandémie, il y a eu beaucoup d’impairs dans la mise en œuvre du plan de résilience. Dans le secteur du transport, de l’informel en général, la plupart des nécessiteux n’ont pas été correctement pris en compte, certaines mesures concernant les entreprises ne sont pas effectives. Des entreprises connues ont profité de la crise pour régler des comptes, ou mettre sur son dos des fautes de gestion pour redresser leur trésorerie. Sinon, comment comprendre qu’une entreprise qui a une cinquante d’années, voire cent ans d’existence, au cours desquels elle a toujours engrangé des bénéfices, ne puisse plus, au bout de quelques mois de crise, garder une partie de son personnel en chômage technique et envisage à la place des licenciements, purement et simplement.
Une région aurifère comme Kédougou est très particulière. Quel constat dressez-vous de la situation vécue sur place par les travailleurs ? Est-elle salutaire ou dramatique ?
La situation des travailleurs des mines d’or de la région de Kédougou est plus que dramatique. Les travailleurs vivent véritablement l’esclavage moderne. A Mako où exerce Ams (Agence mine service) comme prestataire de main d’œuvre, nous avons vécu en grandeur nature, ce que l’opinion pense des multinationales aurifères. Après la procédure du protocole sanitaire que nous avons subie et dont nous saluons la rigueur du reste, notre délégation a été retenue plus de trois heures de temps devant la porte. Pourtant, toutes les précautions ont été prises en amont par la Cnts/Fc et ses responsables locaux, les correspondances nécessaires envoyées depuis plus d’une semaine avant notre arrivée pour informer qui de droit, y compris l’autorité de l’administration du travail, des réunions syndicales et de la rencontre des délégués du personnel avec la direction, assistés par leur syndicat, ce qui est un droit reconnu par le Code du travail.
En substance, tout a été manigancé par Ams et Retowal, pour empêcher les travailleurs et leurs responsables syndicaux d’exercer leurs droits syndicaux, nous refusant même de rencontrer les directions d’Ams et Retowal Mining Compny. Il a fallu une rebuffade de la délégation et même des ouvriers miniers pour tenir l’Assemblée générale avec les travailleurs. Cette grande perte de temps nous a empêchés de visiter d’autres sites miniers où, nous en sommes convaincus, les travailleurs vivent un véritable calvaire, confrontés qu’ils sont, à des produits chimiques hautement toxiques et cancérigènes sans conditions de travail adéquates, ni primes de risque appropriées, encore moins une application correcte de la Convention collective du secteur miner.
Notre centrale a voulu aborder ces questions avec les directions respectives pour y apporter des solutions consensuelles pour de meilleures conditions de travail et de production économique de l’entreprise, dans l’intérêt de tous.
Ce que nous avons vécu à Mako constitue, à nos yeux, une motivation supplémentaire afin d’accompagner les travailleurs miniers de la région de Kédougou. Nous comptons y retourner régulièrement jusqu’à la normalisation des relations professionnelles et des conditions de travail. Nous allons user de nos droits syndicaux et de ceux des travailleurs, autant de fois que les sociétés multinationales et leurs alliés nous feront obstacle, jusqu’à ce que l’autorité intervienne pour arbitrage. Aussi, envisageons-nous de poursuivre ce combat avec nos alliés sur le plan international, si les responsables de ces sociétés multinationales et locaux ne reviennent pas à de meilleurs sentiments et acceptent l’exercice libre du droit syndical.
Comment entrevoyez-vous l’avenir dans ce milieu de travail, à la suite de votre analyse ?
Nous sommes davantage motivés et engagés aux côtés des travailleurs du secteur minier de la région de Kédougou. Nous sommes persuadés que la situation va se normaliser, d’autant plus que le Haut conseil du dialogue social et les partenaires sociaux sont en train de travailler sur un projet de Convention collective du secteur minier pour réactualiser celle de 1960. J’ose croire que les employeurs des mines de la région de Kédougou finiront par comprendre que la Cnts/Fc n’est pas une adversaire, encore moins une ennemie, mais une partenaire.
Le chef de l’Etat craint beaucoup une deuxième vague de Covid-19, qui serait, à ses yeux, insupportable pour l’économie nationale. Quelle réaction doit-on attendre du monde du travail pour ne pas vivre une telle situation ?
Le monde du travail doit rester constant dans son comportement durant la pandémie. Notre ministère de tutelle a fait un travail bien apprécié par la production d’une bonne documentation et des recommandations pour lutter efficacement contre le Covid-19 en milieu du travail.
Durant la tournée, la Cnts/Fc s’est engagée à sensibiliser davantage contre le relâchement constaté ces derniers temps.